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Tout numérique empoisonne le quotidien des plus âgés

 La société du tout-numérique empoisonne le quotidien des plus âgés

                        Illectronisme

L’illectronisme concerne deux tiers des plus de 75 ans, engendrant un sentiment d’exclusion chez une population souvent fragilisée par l’isolement. La fracture numérique est encore plus béante dans les régions rurales.
"L’illectronisme, ce n’est pas ravageur comme peut l’être l’illettrisme, tempère Joachim Tavares, fondateur de la plateforme Papyhappy et ancien directeur d’Ehpad. Ce n’est pas parce que vous ne connaissez pas le digital et l’informatique que vous êtes perdu dans la vie." Il n’empêche, être incapable de naviguer sur Internet ou de pianoter sur un clavier peut empoisonner le quotidien.C’est le lot de la majorité des plus âgés, encore plus dans les zones rurales, peut témoigner ce spécialiste dans les solutions numériques à destination des seniors.

Le passage à un monde numérisé, dématérialisé a été encore plus brutal pour les plus âgés. 

      Comment monter dans le train quand on vous a laissé sur le quai ?

On le constate avec la déclaration de l’impôt sur le revenu via internet. Ou chez les banques, qui ont supprimé au maximum le papier et réduit les guichets. On a dit aux gens : ce sera comme ça et pas autrement. Mais on n’a pas mis en face le soutien nécessaire ni une information suffisante et encore moins des postes en libre-service là où les gens ne sont pas équipés.

                    C’est toute une génération qu’on a exclue de la société ?

Je l’observe avec mes parents, qui ont 70 ans. Ils habitent dans un petit village dans le nord de la Bourgogne. Leur entourage, ce sont des anciens ouvriers et des employés qui n’avaient jamais touché à un ordinateur. Ils ont le sentiment de se sentir vieux avant l’âge en se disant : on ne comprend plus rien, on est largués. Ils se sentent abandonnés.

Cela les rend en plus tributaires des autres, en particulier de leurs enfants ?

On peut voir le côté positif : ça crée du lien ! Les parents ont besoin des enfants, les appellent à la rescousse et c’est l’occasion de se voir, de pouvoir échanger. C’est ce qui s’est produit durant le confinement. Beaucoup de grands-parents finalement se sont mis au digital pour pouvoir communiquer avec le reste de la famille.

                                  Quid de la formation ? Et que fait l’État ?

Il y a eu les ateliers seniors créés par Pôle Emploi. Mais souvent le personnel n’était pas assez formé et les modèles étaient dépassés. Il existe aujourd’hui les maisons de service au public mais elles sont loin d’irriguer tout le territoire. Les entreprises sont tout aussi fautives : aucune n’a mis en place une formation digitale pour leurs clients, ou n’a même cherché à leur expliquer quoi que ce soit.

Et quand vous ajoutez le clivage entre urbains et ruraux, on se retrouve avec des gens perdus, totalement égarés. En ville, le digital est plus présent, c’est un peu plus concret. Mais dans un village, votre paysage, ce sont les vaches et les champs.

Comment, dans ce contexte, réussir pour les seniors à suivre le tempo, toujours plus rapide ?

L’exemple type, c’est le PC. S’il n’est pas mis à jour régulièrement, vous ne pouvez plus accéder à certains sites. Vous avez l’ordinateur, vous pensez y arriver mais parce que vous avez pris un train de retard, vous vous retrouvez en échec malgré la meilleure volonté du monde.

       L’illectronisme touche 67,2 % des plus de 75 ans. Par où commencer ?

Je pense qu’il faut réfléchir localement, à l’échelle du village, du quartier. Il faut regarder ce qui existe autour de chez soi. Si on a ni banque ni poste, on aura beaucoup plus besoin de se faire aider qu’en vivant à Paris.

Dans l’idéal, le lien physique, c’est toujours mieux. Via les collectivités, notamment les mairies et les conseils départementaux, des ateliers informatiques existent un peu partout en France. Mais il reste tout un travail pratique à mener pour cibler les besoins réels des gens, pour leur indiquer quel chemin suivre, en toute sécurité.

Il manque un maillage du territoire – type "repair café" pourquoi pas ? – où les gens du coin viendraient s’entraider autour du clavier. Pour réduire la fracture numérique, ce serait plus efficace que n’importe quel plan Marshall. 

Chez les personnes âgées que je côtoie au quotidien, je perçois que ces outils numériques ont quelque chose d’irréel. Quand on leur dit qu’ils peuvent payer avec leur téléphone, ou débloquer leur smartphone avec leur doigt, ils ouvrent de grands yeux.


Cyberini